Un grand vide


La défense, le matin, des centaines de gens se pressent pour gravir les étages sociaux de leurs bureaux, munis de leurs diplômes aussi variés que prestigieux, une ascension facilitée par la multitude d’Escalators et d’ascenseurs en tous genres, y compris pour monter un pauvre étage.
Un énorme vide règne ici, et très tôt les files d’attente s’organisent pour … rien.

La première qui ne manque pas de m’énerver, c’est celle qui s’organise autour des distributeurs de journaux gratuits. Les gratuits sont déjà une connerie en soi, mais faire la queue pour en avoir un, c'est-à-dire pour rien, ça me rend dingue, heureusement, certains sont malins et ont attrapé leur exemplaire avant de rentrer dans leur métro, ce qui leur donne une supériorité indéniable sur ceux qui n’ont plus que le temps de la traversée du parvis pour lire leur journal du matin – ce qui limite fortement leurs chances de s’intégrer avantageusement dans les discussions du matin autour de la machine à café.
Ces journaux, si on peut les appeler ainsi, ne sont bien sûr pas gratuits, ils répondent à la demande des annonceurs, chaque personne qui prend un des ces torchons participe à deux choses (entre autres) :

- le tapissage de son esprit des pubs qui ont pu lui échapper sur son parcours du matin dans les couloirs du métro, rue, télé, radio
- l’appauvrissement de la diffusion de l’information et de son traitement sinon objectif, au moins un minimum approfondi

Je ne suis pas le premier ni le dernier à parler de ces supports, et leur essor était plus que prévisible dans l’évolution des médias que Bourdieu décrivait depuis bien longtemps. La mise en avant du vide, le fait divers qui côtoie le drame international, la pub pour les baskets qui fait face à un article sur la chine, le mélange des genres, la diversion, et une sensation de néant, qui n’amène pas de réflexion, pas de remise en cause, de quoi que ce soit, pas d’analyse, pas d’avis, rien. Le format est celui de la télé, un énorme bordel inutile, basé sur une croyance populaire, entretenue par ces mêmes médias, que les dépêches d’agences de presse sont le cœur de l’information, la source, l’impartialité absolue qui confère aux gratuits une légitimité que j’ai du mal à accepter.
La taille des articles répond à la paresse à laquelle télé et pub nous ont habitué, vite, vite, il ne faut pas perdre de temps, on a un boulot super important quand on travaille à la Défense, c’est beaucoup de stress, alors il faut se tenir informé, mais vite fait, et puis le programme télé, c’est primordial, la météo aussi, une petite couche de vernis social, vite fait, ne pas perdre le fil qui nous relie aux autres, nos semblables, les centaines de gens qui viendront bientôt manger leur sandwich sur la parvis le midi parce qu’il y aura du soleil.

Alors quand on essaie de dissuader quelqu’un de lire ces torchons, on se prend des remarques du style « mais c’est juste l’AFP, au moins on est au courant de ce qui se passe » « c’est mieux que rien » …
Non seulement ce n’est pas mieux que rien, mais c’est pire. Ce « mieux que rien » ne vous rappelle rien ? Oui, c’est courant aujourd’hui, mieux que rien, c’est s’accommoder de ce que l’on nous impose.
- Les sous emplois en Asie qui ne permettent pas de vivre, c’est mieux que rien pour le tiers-monde.
- Le CPE, c’est mieux que rien
- Le libéralisme, c’est pas parfait, mais c’est le mieux qu’on ait (parce qu’on a tout essayé avant, faites nous confiance)

Mais qui impose à des gens de ne rien lire ? En quoi lire un bout de papier imprimé avec du vide, c’est mieux que ne pas acheter de journal ? Pourquoi a-t-on besoin d’avoir un journal tous les matins dans les mains qui ne dit rien ? N’y a-t-il rien d’autre, vraiment ? Suis-je vraiment un connard élitiste qui est contre les trucs gratuits ?
Eteindre sa télé, c’est possible, et ne pas tendre le bras pour attraper une de ces merdes en papier, c’est aussi possible, voire facile. Il existe des alternatives, des gens qui analysent des problématiques, le Monde Diplomatique par exemple (une fois par mois, 4 euros…), Acrimed pour décrypter le traitement médiatique, PLPL et son futur bébé le PLAN B, et même plus généralement Le Rezo.net qui permet de parcourir de nombreux articles qui traitent de l’actualité. Parce que l’actualité, ce n’est pas des faits sous forme de dépêches, c’est un ensemble d’événements qui demandent réflexion et analyse, des avis différents, des références à des livres passés, des contradictions … etc.

Je n’ai pas de recette miracle pour acquérir une information suffisante pour former un esprit citoyen, mais j’en ai une ou deux pour éviter de déformer son esprit.

2 comments:

Anonymous said...

Ouais, c'est pas faut, mais il existe d'autres relais pour une info de qualité : l'huma., le canard enchainé, sur le net : brave patrie...
D'autres sources sont indispensables afin de connaitre un temps soit peu les préoccupations des décideurs : les échos, la tribune, le figaro.

coco_des_bois said...

C'est vrai, c'est vrai, je constitue petit à petit mes liens importants comme Brave Patrie, et j'admet la qualité de certains articles en ligne de l'huma même si je n'achète pas le journal.

D'accord également avec une certaine nécessité de suivre un peu les médias "classiques", pour ne pas tourner en rond autour de son nombril et saisir un peu les enjeux de ces "décideurs".